Pourquoi je n'ai pas relayé le dévoilement de Nicolas Demorand
- Bipol Air 22
- 30 mars
- 4 min de lecture
... et pourquoi je ne peux m'empêcher d'en parler malgré tout.
Anne Saint-Cast

Dans ses 80" matinales du 26 mars 2025, Nicolas Demorand, journaliste, confiait la bipolarité dont il souffre. J'avais presque envie d'écrire "avouait", mais c'est un autre débat. Quoique...
Sa confession, tout comme la sortie de son livre, sont sur les ondes, non sans hasard, aux environs de la Journée Mondiale des Troubles Bipolaires - le 30 mars de chaque année. On peut la trouver sans mal en podcast et sur les réseaux sociaux, de même que ses interventions dans d'autres émissions et les réactions d'autres journalistes.
Qu'on ne se méprenne pas ! M. Demorand est un journaliste que je suis depuis son arrivée sur Radio France et j'ai beaucoup de respect pour le courage dont il a fait preuve, la souffrance qu'il a pu ressentir et son chemin tout en portant une bipolarité. Moi-même j'ai traversé tout cela, et j'en ai subi des conséquences néfastes d'ailleurs.
Oui mais voilà...
Son métier de journaliste l'oblige sûrement à utiliser des mots choc, des mots vendeurs, des mots qu'on retient. Je les trouve malheureux, voire déplacés, violents oui, et pas seulement crus. "Je suis un malade mental" : c'est son ressenti, il est vrai pour lui, il lui appartient. "Je suis un malade mental", "je suis bipolaire" posent la question de l'identité. Aucune maladie ne définit une personne : je ne suis pas épileptique, je ne suis pas une malade mentale, je ne suis pas bipolaire. Non. Je suis Anne. Je suis maman. Je suis grande. Je suis engagée. Mais je ne serai jamais plus bipolaire. J'ai décidé que cette maladie ne me définira plus, qu'elle ne sera plus moi et que je ne serai plus elle. Je la porte, elle vit en moi, mais elle n'est pas mon identité propre. Le risque ? Être envahi par la maladie, la culpabilité, la honte, l'engrenage, la recrudescence des crises, ne pas pouvoir se rétablir, ne même pas s'en donner le droit, ou le fait que l'on croie que notre entourage ou notre employeur par exemple ne nous considèrent que comme malade.
"Je suis un malade mental". Quelle violence ! Je suis fou ? Sommes-nous alors tous fous, nous porteurs de troubles psychiques ? Cette identification avec la folie me révolte. Parfois, souvent, les troubles font perdre le contrôle, peuvent faire quitter la réalité pour en vivre une qui nous est propre. Seulement on parle ici de maladie, de pathologie, de trouble. Ils se traitent, se stabilisent, et il est possible, sans pour autant guérir (de la bipolarité en tout cas), de se rétablir. Je vous souhaite de ne plus vous enfermer dans cette vision étriquée. Porteurs de bipolarité, schizophrénie, autisme, TDAH, ..., nous ne sommes pas fous ! Nous sommes des êtres humains, vivants et dignes. Je me battrai jusqu'au bout pour que nous soyons considérés ainsi par tous et pour que cela perdure.

M. Demorand risquait de subir des conséquences sur son travail en faisant connaître sa bipolarité. Sûrement. Comme nous tous. Moi-même j'ai été licenciée suite à une visite du DRH pendant une hospitalisation... Malgré tout, et cela n'engage que moi, avec le bruit que son dévoilement allait faire dans toutes les sphères de la société, avec le nombre d'organismes en santé mentale qui allaient relayer et féliciter son action, le risque encouru était sûrement bien calculé : quel patron sensé licencierait un salarié renommé, compétent et apprécié, avec une telle ancienneté, après une annonce à l'antenne, au risque de se voir subir les foudres de toutes les structures militantes en santé mentale du pays et de se voir intenter un procès pour licenciement abusif ou quel motif que ce soit ? Le danger n'était donc sûrement pas comparable à celui d'Anne SC, petit cadre dans une société inconnue du grand public, ou celui d'autres personnes qui se posent la question du dévoilement depuis plusieurs années sans trouver de réponse.
Et me trouveriez-vous cynique si j'évoquais un plan marketing qui tombe à point nommé pour lancer son livre en suscitant la compassion ou l'admiration et gagner de l'argent par la même occasion ?
Oui mais...
M. Demorand, je vous remercie. Grâce à votre confession publique et émouvante, vous portez la voix de plusieurs millions de Français (nous sommes 2 à 6 millions de personnes à vivre avec une bipolarité en France), vous dites tout haut ce que nous vivons ou avons vécu dans la peur. Vous osez évoquer la honte que nous ressentons, la honte du regard de l'autre, la peur de notre différence, du rejet, de l'abandon et des conséquences sur toute notre vie. "J'avais honte", vous dites aussi que la perception de soi par soi-même peut changer. En ça, vous donnez de l'espoir.
Espoir encore, quand vous dites que malgré les souffrances et les difficultés rencontrées, il est possible de travailler et de mener une vie correcte. Grâce à vos mots sur une grande radio, j'espère que toutes les personnes qui vous ont écouté, salariés, chômeurs, personnes en invalidité, en situation de handicap, entrepreneurs, employeurs, soignants, seront convaincus que c'est possible, qu'un patron peut embaucher une personne avec un trouble bipolaire, qu'une personne porteuse de bipolarité peut apporter une plus-value à une équipe au même titre que ses collègues et n'a plus de risque de perdre son emploi du fait du trouble psychique avec lequel elle vit.
M. Demorand, je m'adresse à vous directement. Peut-être me lirez-vous. Vous parlez de votre combat pour que la société nous voie maintenant autrement. Rejoignez notre lutte, portez nos voix dans toutes les sphères d'une société qui se limite encore de fausses croyances. Nos bras sont grands ouverts. Nous sommes de nombreuses associations qui soutenons les personnes qui souffrent, nous souhaitons être entendues, pour que les choses changent, pour que la psychiatrie évolue avec son temps, pour que les déserts médicaux se repeuplent et pour tellement d'autres raisons encore. Je crois en cette cause. Mon combat est quotidien, parfois acharné, et je sais que nous y arriverons, tous ensemble. Vous épauleriez-nous dans nos projets locaux ?
Et finalement... le lien vers les 80".

Là je suis largué, je jette l'ancre.😇